Stratégie marketing

Pragmatisme, patience et conviction : les maîtres mots d’un Chief Digital Officer engagé

Guillaume ARDILLON complète sa formation initiale d’ingénieur en télécommunication par un diplôme en « digital business management » chez HEC. Technophile et sensible aux enjeux utilisateur, Guillaume mène, pendant 6 ans, des missions de conseil en stratégie des SI dans des secteurs variés tels que l’industrie ou l’énergie… Après un passage par le secteur bancaire, il rejoint finalement Terrena et son expertise l’amène à créer le poste qu’il occupe actuellement : Chief Digital Officer.

En tant que Chief Digital Officer du groupe Terrena depuis 3 ans, quels ont été vos principaux défis ?

Mon poste étant une création, j’ai dû constituer ma feuille de route en y incluant différents métiers du groupe. Ce n’était pas une mince affaire compte tenu des ambitions importantes liées au marketing et au digital et également de l’hétérogénéité des maturités face à ces enjeux.

L’un de mes principaux défis est de casser les silos. Dans une économie digitalisée et dématérialisée, le partage et l’échange sont impératifs. Ce changement de posture demande d’accepter le retour d’expérience et d’intégrer de nouvelles compétences.

Ce travail d’acculturation, la conception puis la mise en commun des enjeux de ma feuille de route ont concentré mes efforts. Ils me challengent encore pour diffuser une culture commune et assurer la transversalité des connaissances et compétences au sein du groupe.

Quels sont vos atouts pour mener à bien une transformation digitale dans un groupe tel que Terrena ?

Ils sont multiples :

  • Faire preuve d’humilité et de patience. Il faut apprendre à écouter les experts métiers pour amener ensuite sa pédagogie.
  • Convaincre par l’exemple et apporter des preuves. Dans mon cas, je me suis saisi de la transparence de la filière alimentaire pour transmettre mes messages avec dynamisme.
  • Formaliser une feuille de route claire et compréhensible par tous. J’ai d’ailleurs poussé au bout cette logique en la publiant sur l’intranet en la rendant accessible à l’ensemble des salariés : dans un monde qui bouge très vite et où les inquiétudes peuvent être fortes, la transparence se révèle une alliée primordiale.
  • Être pédagogue et prendre le temps d’expliquer sa position pour rassurer et obtenir l’adhésion.

Transparence, hyperpersonnalisation, marketing prédictif… les défis et attentes face au digital sont toujours plus vastes. Comment faites-vous pour garder le cap et mener une stratégie réaliste ?

Tout d’abord, il faut prendre le temps. Il est essentiel d’établir une gouvernance maîtrisée pour se concentrer sur ce qui fait sens pour le Groupe. Pour cela, j’ai mis en place un ‘comité digital’ mensuel qui réunit des représentants de l’ensemble de nos métiers (amont agricole, industries agroalimentaires, fonctions support) dont le rôle est de faire émerger les points communs et les synergies Groupe. Pour y parvenir, je procède de manière systémique en formalisant, testant puis amendant. Cette instance, sponsorisée par un membre du COMEX, est également un lieu de partage et d’échange : retour d’expérience, partage de veille, etc.

Le digital doit, avant tout, être un canal au service du business et des clients. Il est un moyen et non plus une fin en soi. Pour un groupe comme Terrena, je m’attache plutôt à avoir une stratégie dans un monde digital plutôt qu’une stratégie digitale (même si, à l’échelle de certains métiers, cela peut avoir du sens). Cette posture est primordiale pour identifier les axes prioritaires, définir les objectifs et allouer les moyens pour se différencier. 

Pragmatique, je crois plus à l’avancement par la preuve et les résultats que par la simple expression d’une vision qui resterait théorique. Avancer par des projets courts, avec un delivery régulier et rythmé, permet d’apporter de la valeur très régulièrement. C’est la clé pour rester réaliste et crédible. La feuille de route est ainsi lisible et facilement appropriable par les équipes. En ce sens, j’aime beaucoup la méthode Amazon : « nourrir l’équipe projet avec 2 pizzas ». Ne demandant pas trop d’investissement, ils autorisent ainsi l’échec. Toutefois, la trajectoire étant gérée au plus proche, ces projets échouent beaucoup moins. C’est également un excellent moyen d’emmener les équipes car les résultats sont concret.

Digital et agriculture, un duo qui peut surprendre. Pourquoi le digital représente t-il une opportunité pour l’agriculture ?

Je tiens à dénoncer un mythe : le monde agricole a déjà pris le tournant digital. À titre d’exemple révélateur, en 2014, la conduite autonome de tracteur existait depuis déjà 10 ans ! Elle est même devenue la norme. Tous les tracteurs de plus de 150 chevaux (et 75% des autres) sont vendus avec cette option. Plus de la moitié des agriculteurs ont un smartphone et utilisent au moins une application en lien avec leur travail. Le sujet est donc connu et appréhendé. De manière plus macro, l’arrivée du digital a révolutionné la recherche agricole en permettant de simuler et analyser à partir de données existantes, et non plus par la vérification systématique d’hypothèses en champs. Grâce au digital, le temps de recherche a ainsi été divisé, pour certains sujets, par 10, voire 12 ! 

Toutefois, le champ du digital nourrit beaucoup d’exigences. Le renouvellement des profils et l’agrandissement des exploitations transforment ces attentes. La jeune génération souhaite que ces nouvelles technologies facilitent leur travail et les rendent plus performants. Cela nous challenge énormément pour les accompagner tout en les sensibilisant aux limites. En effet, il s’agit principalement d’aider à mieux piloter et non d’automatiser systématiquement. Notre mission est de faire émerger le projet de nos adhérents pour leur apporter les outils les plus pertinents et en les aidant à les maîtriser.

Pour perdurer, il est nécessaire de transformer le modèle de la filière grâce aux nouvelles technologiques. Nous devons porter beaucoup d’attention pour accompagner l’évolution du monde agricole et des enjeux majeurs qu’il porte.

Quelles sont les innovations auxquelles vous croyez particulièrement et que vous souhaitez déployer à l’avenir ?

Je suis convaincu que l’internet des objets, couplé à l’IA marquera une vraie révolution dans la manière d’appréhender les systèmes de productions agricoles et alimentaires.

Je m’intéresse également à la blockchain et à l’opportunité qu’elle offre aux acteurs agricoles de reprendre du pouvoir sur la chaîne de traçabilité. Elle permettra de créer une base de données partagées où chacun maîtrise la diffusion de ses éléments. Bien sûr, cela fait sens pour nourrir la confiance dans des chaînes multi-acteurs. Enfin je suis attentif au développement de la 5G et de la mobilité au sens large. 

Néanmoins, tous ces éléments ne sont pertinents qu’en lien avec le développement d’expertises métiers. Si l’innovation n’est pas pilotée et entretenue, si les technologies ne servent pas un objectif métier clair, on se fera plaisir, mais on aura dépensé des sommes parfois importantes et un temps précieux pour un résultat souvent (très) limité. Elles ne doivent jamais être une finalité.

Quelles sont les qualités/compétences que vous recherchez chez vos équipes ?

J’attends des personnes avec qui je collabore qu’elles m’apportent une vision métier que je ne maîtrise pas. Faire preuve de patience, de curiosité et d’ouverture d’esprit sont cruciaux. D’autre part, le risque de dispersion est grand dans nos métiers. Pour s’en prémunir, la rigueur dans son engagement et ses pratiques est de mise. Toutefois, il faut être constant dans son état d’esprit mais rester capable de détecter et de s’inspirer des signaux (faibles comme forts) pour faire évoluer nos modèles économiques. J’admets que l’équilibre est subtil à trouver et les profils rares…

Selon vous, quelles qualités doit avoir un Chief Digital Officer ?

Les principales qualités d’un CDO sont l’ouverture d’esprit et la curiosité. Ce sont des prérequis pour penser différemment et garder un sens critique vis-à-vis des technologies. Toutefois, il ne faut pas tomber dans une remise en question permanente au risque de ne pas engager les projets. En effet, l’une des principales missions d’un CDO est de convaincre, d’expliquer et d’aider les métiers à se projeter pour évoluer. Il doit donc mobiliser des qualités de pédagogie, d’écoute, d’empathie et de persuasion pour réduire les inquiétudes avec subtilité mais fermeté. En captant et en s’adaptant à la culture de son entreprise, le CDO doit apporter avec humilité une vision dont il impose ensuite le rythme de déploiement. Pragmatisme et patience seront les clés pour rassembler et relever ces défis avec sérénité.

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