Relation client

Relation client : comment innover avec réalisme ?

Comme le dit Nicolas Savin, son parcours professionnel se compose de « délicieux concours de circonstances, provoqués ou non ». Éternel amoureux de sport, il a débuté chez Décathlon. Après une expérience chez Ernst & Young, il crée sa start-up, rejoint le groupe Henner puis Malakoff Mederic. Diversifiée, son évolution professionnelle est un subtil dosage de nombreuses rencontres, d’une bonne capacité à saisir les opportunités et d’une grande sensibilité, lui permettant de marcher aux coups de cœur.

Vous êtes Directeur Digital (CDO) & Expérience clients (CXO) du groupe Malakoff Humanis depuis presque 2 ans, quels ont été vos principaux défis ?

Lors de mon intégration, ma priorité a été de créer la direction de l’expérience client et d’optimiser la direction digitale. J’ai souhaité très rapidement fusionner les deux directions pour n’en faire qu’une seule, faisant écho aux évolutions d’usages de nos clients et à notre maturité sur ces sujets. Rattacher ces deux thématiques dans un même service traduit ce message fort que nos clients vivent plusieurs expériences sur plusieurs canaux de contact. Nos solutions doivent alors positionner le client au cœur de nos réflexions et répondre aux usages plus qu’à l’effet « digital only ».

Par la suite, le rapprochement avec Humanis a renouvelé ces mêmes problématiques en les liant désormais à des défis de rapprochement :  lancement d’un site commun, mise à jour et unification des espaces client … Notre priorité s’est alors portée sur la cartographie de nos parcours clients et ses pain points pour identifier les priorités de demain. Réflexe indispensable pour définir la juste expérience client, l’ambition d’un groupe sur le sujet et l’effort pour y arriver.

Je suis également confronté à un défi permanent depuis que je fais ce métier : chacun a un avis sur les sujets digitaux. C’est encore plus prégnant pour l’expérience client. Nous sommes davantage challengés dans nos propositions qu’un autre service. En effet, nous nous considérons tous, à juste titre, comme un client. Dans cette perspective, il peut s’avérer complexe de donner une direction « arbitraire », liés aux attentes client et à l’expertise d’entreprise, tout en prenant en compte l’ensemble des avis et des contraintes sur le sujet. C’est une position qu’il faut savoir assumer et tenir.

Enfin, tous ces défis sont accompagnés d’enjeux humains, notamment de recrutement de talents. Afin d’attirer et d’installer ces nouveaux métiers du design et de l’expérience client, nous devons continuellement travailler notre aura et notre pouvoir de séduction.

Quels sont vos principaux enjeux, face aux nouvelles exigences client ? Pourquoi le digital est-il une opportunité dans cette perspective ?

Du fait de la maturité digitale de leur environnement, les attentes de nos clients sont aussi élevées pour notre secteur que pour d’autres plus innovants. Il n’y a pas de différenciation dans les usages. L’enjeu du secteur de l’assurance est de rattraper au plus vite le retard qui a pu être accumulé dans la digitalisation de ses interactions.

Toutefois, nous devons garder à l’esprit que le sujet santé que nous portons est terriblement anxiogène et demande des éléments de rassurance qui ne peuvent être transmis en full digital. La juste expérience client se doit, impérativement, d’associer canaux digitaux et « physiques » pour hybrider avec succès notre relation client.

Quels sont les 2 ou 3 piliers pour garantir la valeur ajoutée du digital pour vos clients ?

Nous devons respecter, avant tout, quatre principes directeurs basiques : fiabilité, réactivité, simplicité et clarté. Il faut pouvoir capitaliser sur ces standards pour avancer ensuite sur d’autres enjeux. Une fois que nos clients reconnaîtront notre expertise sur ces éléments, nous pourrons agrémenter notre expérience client sur d’autres principes complémentaires. Ces fondamentaux sont nos incontournables, ils sont « les paillettes » de notre expérience client.

Fluidité, simplicité, personnalisation … les défis et attentes face au digital sont toujours plus vastes. Comment faites-vous pour garder le cap sur une stratégie réaliste ?

Le digital et l’expérience client sont des secteurs qui se renouvellent sans cesse et dont les véritables compétences sur ces nouveaux métiers sont encore rares. Inévitablement, ces domaines coûtent cher. Nous devons donc adopter une stratégie réaliste selon notre capacité de financement. Nous arbitrons nos décisions selon nos quatre principes directeurs évoqués auparavant. Chacun de nos projets se focalise sur un de ces principes fondamentaux et non les quatre à la fois.

Pour les mener à bien, nous adoptons une stratégie agile qui ne vise pas la « golden copy » mais la mise en production rapide d’un MVP (Minimum Viable Product), enrichi de releases successives. Cette approche séquentielle est essentielle et nous permet d’avancer plus vite et mieux.

Enfin, nous sollicitons nos clients tous les mois pour tester l’avancée de nos projets et valider le réalisme de notre stratégie. Une fois notre démarche et nos choix expliqués, ce sont nos clients qui nous guident.

Quelles sont vos clés pour engager l’interne dans une démarche si innovante et disruptive pour un groupe tel que Malakoff Humanis ?

Tout d’abord, il faut être convaincu de la démarche que l’on porte. D’autre part, ce n’est pas un sujet que l’on peut porter seul. Au contraire, il faut s’entourer d’une équipe autant engagée que soi. L’ambiance et l’esprit d’équipe sont clés. Je crois beaucoup à la confiance et à la responsabilisation de mes collaborateurs. Je les encourage à échouer, car cela prouve qu’ils ont tenté ! Le recrutement est clé pour identifier efficacement les personnalités capables d’adhérer à notre ambition et, à notre vision.

Enfin, il n’y a pas de secret. La preuve par l’exemple est assez efficace pour convaincre du nécessaire changement en interne. Rien de plus impactant que des produits tangibles pour illustrer nos convictions. Nous communiquons peu dans les premières phases de projets. Nous préférons attendre qu’ils soient menés dans la phase MVP pour les expliquer, convaincre et obtenir l’adhésion.

Quelles sont les innovations auxquelles vous croyez particulièrement et que vous souhaitez déployer à l’avenir ?

Il y a une innovation qui me déçoit actuellement d’un point de vue « grand public », mais à laquelle je crois beaucoup dans une approche différente et plus lointaine : le voicebot. Bien qu’étant un early adopter, j’ai constaté, comme tout le monde, qu’il ne s’agit, pour le moment, que d’un interrupteur vocal pour mes lampes… Actuellement, cette technologie n’est pas passionnante en termes d’expérience client, mais j’y crois énormément pour demain. Bien utilisée, elle doit réduire la fracture digitale liée à la manipulation et à la complexité des outils. La voix est un langage beaucoup plus commun dans son utilisation, mais qui supporte, pour l’instant, mal la confrontation avec notre exigence et nos attentes.

Nous sommes arrivés à un pallier de maturité digitale : les sites web se ressemblent, les applications n’ont plus rien de révolutionnaires. Bref, je m’ennuie un peu sur leurs usages… C’est pourquoi, j’ai beaucoup d’attentes vis-à-vis des technologies de la voix et de l’IA pour nous challenger et franchir un nouveau cap digital… et une nouvelle expérience pour le client.

Quelles sont les qualités/compétences que vous recherchez chez vos équipes ?

Je recherche, avant tout, des personnes amoureuses du sujet client. Elles doivent être animées par le client et posséder un sens de l’empathie très développé. Le savoir-être et la sensibilité sont indispensables dans la dynamique de mon équipe. L’individuel n’y a pas sa place.

Vous vous présentez comme un sportif aguerri. Quelle influence cela a-t-il sur vos valeurs et vos pratiques managériales ?

Je dois admettre être un peu moins aguerri qu’avant…Néanmoins ma pratique à haut niveau m’a effectivement marqué durablement. La fraternité, l’esprit collectif et l’encouragement mutuel m’habitent encore. Mon niveau important d’exigence et d’engagement dans le travail n’y est pas étranger non plus. Cette pratique m’a aussi fait découvrir et accepter les périodes de creux et les baisses de régime occasionnelles. Nous ne pouvons être à 100% tout le temps, le croire est un échec assuré. Les prendre en compte et les accepter sont, selon moi, les meilleures garanties pour faire aboutir nos projets.

Quelles qualités doit avoir un Chief Digital Officer ?

Le Chief Digital Officer doit savoir s’adapter à son contexte et non se focaliser exclusivement sur les usages et les technologies. Il doit, d’abord, prendre en compte l’ensemble des paramètres de son environnement de travail. Sa mission est de savoir exploiter le potentiel de son entreprise dans un contexte technologique déterminé et complexe. Il lui faut alors aussi pousser l’entreprise dans ses retranchements pour muter, changer et répondre aux usages. Cela implique nécessairement d’être patient et d’accepter quelques limites. Il lui faut gérer ses frustrations au regard de son potentiel et de ses opportunités.

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